LE TEMPS DIONYSIAQUE

Cette nuit j'ai fait un rêve qui a bouleversé mon existence entière. J'étais une caméra, un oeil qui se déplaçait sur tout la terre, je pouvais voir les choses de tous les angles à toutes les hauteurs que je voulais. Et sur la terre il y avait une nuit complète, totale, sur TOUTE la terre. Rien que ça c'était impressionnant. Comme si le soleil avait disparu. Et là comment raconter... C'était une sorte de Dionysies, une bacchanale sur toute la terre. On avait retrouvé un dieu oublié et on célébrait son apparition. Mais pas un dieu à forme humaine. Cette nuit j'ai compris ce qu'était un dieu: c'est un sentiment commun, une émotion collective qu'on traduit parfois en images, en rites, etc. Et toute l'humanité avait "retrouvé" ce nouveau dieu, celui à la source de la vie: le dieu créateur, joyeux, plein d'amour... C'étaient des fêtes sur toute la terre et aussi sur mer. Moi j'étais comme dans un hélicoptère, je pouvais observer tout ce qui se passait. Dans les villes, les campagnes, les montagnes, les forêts, les rivières, mais aussi sur l'océan, d'immenses bateaux peuplés de gens qui célébraient le nouveau dieu. Comme un carnaval nocturne, nuit totale, des gens déguisés, de la musique partout, etc. (C'est peut-être une fête de la musique mais à l'échelle planétaire). Ce qui réunissait les gens, c'était, je le sentais moi aussi, ce sentiment commun de rentrer en contact avec la source créatrice de tout l'univers. Le monde n'avait plus du tout le même sens qu'avant. Tout le monde était sur la même longueur d'onde, c'était une sorte d'instant éternel, on célébrait, célébrait sans s'arrêter. Tout était décoré, guirlandes, théâtralisations des rues, avec scènes, décors architecturaux rajoutés... Les bateaux c'était le plus impressionnant à mon souvenir, d'immenses bateaux de croisière transformés en nefs des fous carnavalesques flottantes. Des milliers de gens et des lumières clignotantes dessus.

Ca me fait penser au but de l'art: réconcilier les humains avec l'existence, pour moi c'est le but de l'art. Comme il aide à redéfinir les choses. Nous vivons dans un monde infini qui a besoin de définitions, et bien l'art est le régénérateur de définitions de l'existence, et de façons de vivre. Les conceptions passées sont bouleversées par l'art et il nous reconnecte à un nouveau sentiment de vivre. C'est un des effets de l'art. Ici je parle d'une sorte d'art dionysiaque, qui ne pourrait évidemment pas être permanent, ça c'est l'art apollinien, celui des belles formes, de l'architecture, de la sculpture, de la peinture... Celui peut être permanent, quotidien, il embellit l'existence. Mais l'art dionysiaque bouleverse toutes les formes pré-existantes: la musique, la danse, la transe, l'extase... Il ne peut être qu'éphémère et cyclique, il revient de temps à autre. S'il était permanent le monde irait droit au chaos et à la destruction. L'art dionysiaque régénère les forces et les formes de vie bloquées, les valeurs ankylosées, malades, périmées. L'art dionysiaque est semblable à un rêve bouleversant, une crise mystique, une prise d'hallucidogènes. Grâce à lui, nos vieilles conceptions et manières de vivre meurent, puis nous renaissons avec un regard nouveau sur le monde, sur nous. Donc: l'art véritable bouleverse nos valeurs anciennes et nous mène à un stade mystérieux où il n'y a plus de valeurs fixes. Quand on arrive à ce mystère d'où toute valeur peut naître, où il n'y a plus de définitions, c'est à nous de créer ces valeurs, de redéfinir les choses, et de les intégrer à nos vies. Voilà comment aujourd'hui je vois l'art.