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V

LE FOU ET LE GÉNIE INTÉRIEUR

21 Juillet 2015, 17:03pm

Publié par Pierre Kerroch

LE FOU ET LE GÉNIE INTÉRIEUR

Il y a quelque chose dans ce monde qu’on peut appeler le chaos, qui n’est pas un état de désordre, mais qui est un potentiel infini d’où émerge toute organisation. Les scientifiques ont observé que dans notre univers il y a ce qu’on appelle des émergences, c’est-à-dire l’apparition de qualités nouvelles, qui ont quelque chose de plus que ce qui les constitue.


Par exemple, ton corps est fait de 10.000 milliards de cellules, chacune de ces cellules est faite de plusieurs milliards de molécules, faites elles-mêmes d’atomes, composés eux-mêmes d’électrons, de protons et de neutrons, composés eux-mêmes de quarks, composés eux-mêmes d’une mystérieuse énergie.


Chaque niveau d’organisation a du émerger, car il y a 13,7 milliards d’années l’espace et le temps ont eux-même émergé au cours d’un big bang initial, et durant les premières secondes on ne trouvait que des quarks, puis se sont formés les atomes plus tard, dont celui d’hydrogène et d’hélium, puis encore plus tard le carbone, le fer, etc.


La vie biologique sur terre est une émergence : elle a des qualités que la matière n’a pas à priori : celle de se régénérer (par exemple, tu cicatrises) et celle de transmettre son patrimoine (via l’ADN) en sont des exemples.


D’où viennent ces possibles? D’une sorte de créativité universelle, que l’on nomme le chaos. Le chaos est un potentiel infini, du bruit informationnel, mais illimité, et nous ne faisons qu’en prélever quelques possibilités. Ça se passe à chaque instant, car la seule chose universelle est la singularité. Chaque atome a sa place unique dans l’univers, chaque chose et chacun est une combinaison unique qui ne s’est jamais produite et ne se reproduira jamais.


Pourquoi je dis ça? Parce que la folie, mes amis, la folie est un accès plus grand au chaos. Mais tandis que le fou ne contrôle pas le chaos, et bien certains êtres ont appris à s’en servir. Et ces êtres sont des émergences, car ils vont au bout de leur singularité, ils ont trouvé leur dimension unique et l’approfondissent à fond.


Tous les personnages qui ont marqué l’histoire étaient, selon les définitions de la psychiatrie, des fous. Des malades mentaux : Gilgamesh, Alexandre le Grand, César, Jésus-Christ, Napoléon, etc. J’ai été interné de force à l’asile, et j’ai un jour demandé à mon psychiatre ce qu’il pensait du Bouddha. Il me dit alors que « cet individu devrait être interné et mis sous traitement ».


On n’est fou qu’aux yeux des autres. La folie n’est qu’un état de conscience plus vaste, et le fou est celui qui ne contrôle pas la folie. Par contre, certains savent s’en servir. La normalité, ça c’est la vraie folie. Elle est une illusion, personne n’est normal car il n’y a pas de norme : qui aurait le droit de définir ce qu’est la normalité?


C’est pour ça, mes amis, qu’il faut faire attention aux thérapies : elles castrent notre créativité. Elles nous remettent dans une norme, mais cette norme est celle d’une société folle. J’aime cette phrase de Krishnamurti : « Ce n’est pas un signe de santé que d’être adapté à une société malade ».


Le conformisme est donc la pire des folies. Les psychiatres sont fous et les fous sont les vrais sages de notre monde. Pourquoi? Car les psychiatres pourront analyser n’importe quel « grand » de ce monde, que ça soit dans le domaine philosophique, spirituel, artistique, ou scientifique. Ils étaient tous fous.


La folie n’est rien d’autre qu’être libre, original, novateur. Dans toutes les sociétés traditionnelles, celles qui sont donc à l’origine de nos sociétés, les fous et la folie sont respectés, voire vénérés. Les shamans, centres de la vie spirituelle, philosophique, scientifique, et artistique des tribus, étaient des malades mentaux selon la psychiatrie moderne.


Mais on peut aller encore plus loin. Tous les fondateurs de la psychiatrie étaient fous, ainsi que leurs prédécesseurs. Parmi ces derniers, on peut citer Schopenhauer et Nietzsche : un rapide coup d’oeil à leur biographie nous montre qu’ils étaient fous.


Freud : cocaïnomane, affabulateur, incestueux, mégalomane, phallocrate, etc. Jung, qui a frôlé la folie, et qui semble même être devenu fou par moments (lire son Livre Rouge). Otto Gross, n’en parlons pas, Wilhelm Reich, c’est sans doute le pire. Je renvoie à mes articles sur Gross et Reich, qui font partie des fondateurs de la psychanalyse, de la psychiatrie, de la sexologie. Mais on peut aussi parler de Ferenczi, Groddeck, Lacan, Fromm, Erickson, et tous les autres.


Je connais les psychiatres, j’en connais en tout cas quelques uns. Ce sont des castrateurs. Au lieu de vous comprendre, ils vous donnent des médicaments, des calmants, des antidépresseurs. Ils sont au service de l’industrie pharmaceutique. Ils endorment votre créativité, et vous font croire que vous avez un problème.


Ce sont des fonctionnaires qui servent à nous adapter à une norme. Cette norme est fabriquée par un état d’esprit général, anonyme, qui sert à réguler la créativité sociale, populaire, révolutionnaire. C’est le conformisme, se mettre dans le moule. Les psychiatres pensent à leur carrière tout d’abord, leur centre, puis aux patients.


Je sais que les psychiatres sont utiles pour notre société, pour nous qui parfois sommes un peu à part et qui pouvons nous nuire ou nuire aux autres sans le vouloir. Ils peuvent beaucoup aider dans une vie, ou plutôt dans un moment de vie, de façon passagère.


Mais j’avais besoin de dire tout ça. J’ai été interné de force et j’ai vu, pendant l’été, ce que c’était. Le problème, c’est que dans ces endroits certains sentiront que 3 années c’est court, et d’autres que déjà 2 jours c’est un enfer insupportable. J’ai fait partie de la seconde catégorie.


La camisole de force, l’enfer sur terre existe, ici aussi. Les ambulanciers trapus qui se tapent le sale boulot de te forcer à te mettre dans la fourgonnette, avec des sangles, sans que tu puisses boire de l’eau pour te déshydrater. Les heures d’attente, l’été qui brûle, t’assèche et te fait fondre. La sueur, l’odeur du désinfectant puant et omniprésent. Tu ne peux pas bouger.


Les diagnostics. Les médicaments forcés, matin, midi, soir. J’étais voisin d’un violeur. Un autre avait le syndrome de Tourette. Les autres, tu ne peux pas trop savoir. Certains ont le regard dans le vide et bavent 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Les repas se font dans un silence total, sauf quand quelqu’un délire.


Chaque fin de semaine tu pries pour que le psy te fasse partir de là. Alors tu simules, tu montres que tu es normal. En fait tu n’as jamais été aussi fou de ta vie. Car tu t’es identifié à tous ceux que tu côtoies chaque jour, les internés. Tu finis par croire que si tu es là c’est que tu es comme eux. Chaque geste, chaque parole, tout ce que tu fais est rapporté par les infirmières à leurs supérieurs.


Une fille de 18 ans est internée ici par sa famille qui l’a vue fumer un joint. Elle partage la chambre d’une femme qui est physiquement bloquée, et qui fait des crises de spasmes, parfois elle reste une demi heure par terre car les infirmières croient, et semblent savoir, qu’elle simule. Finalement c’est un interné qui va la mettre dans son lit.


L’insomnie, les ronflements du voisin de cellule chaque nuit jusqu’au lever de soleil, les médicaments qui te mettent « out » et t’empêchent de te concentrer sur quoi que ce soit. Apparemment, à ce qu'on m'en dit alors, ces médicaments ne sont pas si puissants et ma réaction était plus psychologique qu’autre chose.


Heureusement que j’ai assez insisté pour avoir des livres, à la réticence du psychiatre. Merci, je peux alimenter ma folie de nouveau ! Pas seulement les livres : c’est l’écriture qui, une fois de plus, m’a sauvé ! SAUVÉ ! SAUVÉ ! J'ai écrit des poèmes, des textes, tout un scénario de film. C’est la musique aussi qui m'a sauvé, j’y ai composé des chansons terribles. La musique m’a sauvé !


Les filles. Aucune fille ne me plaisait, d’ailleurs toutes sont plutôt âgées et dépressives, pas très jolies. La seule qui est vraiment, vraiment belle, c’est une des infirmières ! L’amour impossible, forcément ! Je rêve de la prendre dans les douches communes, comme peut-être 90% des hommes ici, quand ils sont encore capables d’imaginer.


Des amis viennent me visiter, mais de vieux amis refusent car ils ne veulent pas me voir dans ces conditions. Je pleure souvent, j’ai des envies de mort, mais j’ai surtout une rage immense, comment exprimer l’immensité de cette rage, contre la famille, la société, les institutions qui permettent ce genre de choses.


Le seul moment de détente c’est quand on peut sortir, dans la cour grillagée, on fume des cigarettes tout le temps, plein de cigarettes, avec du café. Certains fument du chit, de l’herbe, ou les deux, en cachette. Le café et le tabac sont des drogues légales, ça ne rend pas les gens révoltés, ça les stresse, les excite, les rend plus efficaces pour les manoeuvres répétitives dans le monde du travail.


Je me souviens d’un moment assez drôle. Un ami me rend visite, et j’ai eu le droit de sortir du bâtiment, au bout de trois semaines, avec lui. Il fumait de la marijuana très puissante. J’en ai pris, j’ai presque fumé le joint tout seul, rapidement, car j’avais peu de temps. Je n’avais pas fumé d’herbe depuis presque un mois. J’étais totalement défoncé, mais dans le sens : totalement dans un autre monde, décalé, j’avais des hallucinations. Il faut y ajouter les médicaments.


Et pile quand je rentre on me dit que le psychiatre est là et qu’il veut me voir dans son bureau. Mon coeur s’emballe, j’ai peur qu’il me rajoute un mois de plus pour cette connerie. Je passe aux toilettes, pour me rincer le visage et reprendre mes esprits. Mes yeux sont complètement rouges, on dirait un vampire de bordel oriental. J’y vais comme ça. Là il aborde le sujet, il veut savoir les effets des médicaments sur moi. Je profite de mon état pour lui dire « Regardez, ça me fusille le cerveau vos médocs ». Je lui dis que je ne dors pas à cause des médocs et à cause de mon voisin de chambre qui ronfle sans cesse, même si on me donne des somnifères, ce qui explique mon état.


Le psy s’étonne de l’effet des médocs, je sens un soupçon dans son regard, au fond de moi je tremble et l’angoisse est grande, mais il finit par conclure, devant mon état pitoyable : « On va quand même vous baisser un peu votre dose, là ». Je suis reparti dans ma chambre, et j’ai fait des rêveries sans fin, jusqu’à dormir jusqu’au lendemain matin, les ronflements ne m’ayant pas atteint grâce à l’herbe magique.


Je ne sais pas si on peut être en paix avec ce qui nous est arrivé dans notre vie. Mais je sais qu’on peut avoir une attitude de gratitude envers ce qui s’est passé. Ce séjour à l’asile m’a détruit, mais aujourd’hui je sais qu’il a fait partie de ma reconstruction. Sur le coup, c’était affreux, mais tant qu’on renaît d’une situation, cette situation est forcément bénéfique. L’important n’est pas seulement de vivre, c’est aussi de renaître. Car on peut vivre somnambules, endormis, conformes. Alors que quand on renaît, quand on a surmonté des situations, c’est différent.


La thérapie n’est pas se sentir bien, c’est plutôt se sentir de mieux en mieux, se sentir chaque jour moins angoissé. Quelle est ta façon de te sentir bien? Je veux dire, pleinement bien, satisfait, etc? Moi si on m’obligeait à donner un nom à Dieu, au principe de l’univers, je l’appellerai la Créativité.


Il y a une sorte de créativité universelle, et comme tout le monde et chaque chose, j’y suis relié en permanence, car autour de moi des situations nouvelles émergent à chaque instant. Chaque battement de coeur, chaque respiration, chaque geste, chaque personne, est une créativité permanente. Mais je peux m’y relier encore plus en devenant aussi créateur, c’est-à-dire en laissant la créativité s’exprimer à travers moi.


J’ai regardé Aladdin l’autre jour, dessin animé que je regardais une fois par jour étant petit. Une fois par jour. Ça m’a fait un grand choc. Je me suis rendu compte que tout ce que je vivais depuis mon enfance, jusqu’à mon goût pour l’art, l’ésotérisme, la magie, la thérapie, jusqu’à ma personnalité, tout était issu d’Aladdin.


Et dans Aladdin justement il y a un génie, qu’on fait apparaître en frottant une lampe. Je suis sûr qu’on a tous un génie intérieur, on n’est pas un génie mais on a un génie en nous, sorte de Dieu intérieur, la présence de la créativité universelle. Pour le faire sortir, il faut accepter de se frotter à nous-même. Quand on exprime notre génie intérieur, qui n’a rien d’un égoïsme, d’une mégalomanie, je parle de génie comme une créativité, et bien quand on l’exprime ça s’appelle dire oui à notre destin. Et putain, ça fait du bien.


Le génie nous demande trois voeux. Aladdin, voleur à la rue, demande d’être un grand prince pour séduire Jasmine la princesse. Mais Jasmine est amoureuse du voleur Aladdin et non du prince. Il finit par se rendre compte qu’il était dans l’erreur, il a voulu être autre chose que ce qu’il est vraiment. Ses amis l’abandonnent, ça court à la catastrophe, Jaffar le méchant sorcier s’empare de la lampe et contrôle le génie.


Ça veut bien dire que le génie ce n’est pas nous, on ne peut pas s’y identifier, mais le génie est comme une graine qu’il faut libérer en nous. C’est une créativité divine, une énergie ni bonne ni mauvaise, mais qu’on choisit d’orienter, en mode Jaffar ou en mode Aladdin. On a le choix, car le génie intérieur nous laisse totalement libre.


À la fin, Aladdin formule son troisième et dernier voeu : celui de libérer le génie. Car le génie est prisonnier de la lampe, il est le serviteur de celui qui la frotte. Au passage, les psychanalystes aimeront ce symbole sexuel de frotter la lampe, qui libère la créativité, la fertilité, la fécondité. Et Aladdin sait que le génie ne lui appartient pas. Nous non plus. Le jardin n’appartient pas au jardinier. Comment cultiver notre jardin? Chacun sa technique.

N'oublie pas que ton génie, la présence de la créativité universelle en toi, c'est ton potentiel, c'est-à-dire ton pote en ciel. C'est pour ça que le Génie d'Aladdin est bleu ciel, c'est une portion de ciel qu'on porte en nous. Et qu'est-ce que le ciel, sinon l'image de l'infini, sans forme, où réside le soleil, source de toute vie?


Et sache bien, mon ami, que le génie intérieur n’est autre que cette folie qui t’habite et qui t’anime. Libère là, et suis ta joie !

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