LE CRÉDO DU SHAGUAR

Chacun cherche ce que l'univers lui-même ne cherche pas : le bonheur, l'amour, l'argent, la vérité, etc. Voilà pourquoi soit personne ne le trouve, soit il le trouve momentanément seulement. La seule chose que cherche l'univers, c'est ce qu'il est déjà. Des atomes aux astres, des neurones aux galaxies, des minéraux aux végétaux et aux animaux, des sociétés aux systèmes d'idées, tout ne fait que tendre vers une seule et même chose : la créativité. Tout n'est qu'une créativité qui tend vers toujours plus de créativité. Niez-le, et c'est une façon qu'a cette créativité de s'affirmer. Le fait même que j'en parle est une manière que cette créativité à de créer une situation singulière de plus. Une fois qu'on perçoit le monde ainsi, on a trouvé l'étincelle inaltérable. Car où qu'on porte notre regard ou notre main, n'importe quel sens, tout n'est que surabondance de créativité, prodigalité, exubérance et luxuriance. Si nous cherchons la créativité, nous l'avons déjà, nous la sommes déjà, comme tout est notre propre représentation et notre propre interpétation : et il y a une différence entre chercher quelque chose, et déployer ce qu'on est déjà. Même un désert, le silence ou le noir total est un débordement créatif, et c'est ainsi pour chaque battement de coeur, chaque respiration, chaque digestion, chaque pensée, chacune de nos perceptions est une opulence foisonnante en expansion permanente. C'est ainsi et nous n'avons pas le choix. Et ça nous mène à sentir la vie comme une comédie, car seul un S sépare le comique du cosmique et, pour les plus spirituels, l'amour n'est qu'humour : le cosmos n'est qu'un fou rire dont nous sommes les éclats, ses continuelles expansions et contractions sont ses spasmes de rires. C'est pour ça que tout ce qu'on se donne à chercher est un leurre créé par la créativité pour qu'elle s'intensifie : le scientifique qui cherchera toujours la vérité inventera mille nouveautés sans la trouver, l'amoureux qui cherche l'amour inventera mille histoires sans le trouver, le mystique qui cherche dieu inventera mille visions sans le trouver, ils sont semblables à l'âne leurré par une carotte qui avance tandis qu'on récolte les fruits de sa marche. Bref, une immense blague, qui peut sembler infiniment cruelle, voire absurde. C'est aussi une perception ludique du monde : un jeu gratuit, sans autre but que lui-même, et la seule lucidité possible est la ludicité. Si tout n'est que jeu et jeux, alors soit nous jouons aux jeux des autres, soit nous jouons à nos propres jeux. Plus aucune autorité ne nous est imposée : je n'ai pas à jouer le jeu de la politique, de la science, de la religion, de l'art, de la philosophie, de la spiritualité. Je n'ai plus à adhérer aux valeurs comme la connaissance, l'amour, le bonheur, la conscience, ou à des vérités comme la matière, dieu, l'inconscient, l'énergie : tout ça est à rejeter aux ordures. Je n'ai plus qu'à inventer mon propre jeu, et tout bon joueur finit par attirer à lui d'autres joueurs. Si je ne joue pas à un jeu, ses règles ne m'atteignent pas, n'ont aucune influence sur moi. Mais n'oublions pas aussi que jouer et jouir s'entendent bien ensemble. Alors, maintenant, à toi de jouer.