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V

VIE DE DIONYSOS - SUR LES PAS DU DANSEUR - (2)

26 Février 2016, 03:49am

Publié par Pierre Kerroch

VIE DE DIONYSOS - SUR LES PAS DU DANSEUR - (2)

Voici un nouvel article sur Dionysos, ici sous forme de notes prises pendant la lecture de deux livres de Marcel Detienne : Dionysos À Ciel Ouvert et Dionysos Mis à Mort. Bonne lecture !

MARCEL DETIENNE - DIONYSOS À CIEL OUVERT

Épidémique. (p. 11) Dionysos était un dieu épidémique, il a la folie contagieuse.

Errant. (p. 14) C'est un dieu errant qui est partout présent et nulle part chez lui.

Sauvage. (p. 15) Il apporte le virus de la transe et une religiosité sauvage.

Épiphanies. (p. 16-17-18) Trois types d'épiphanies. Soit il apparaît parce que quelqu'un organise son culte : par exemple, Physkoa d'Orthia et son fils à Elis, le thébain Phanès à Sicyone, ou le roi fou qui arrive à Patras. Soit il apparaît par le biais du vin et de la vigne, et on comprend pourquoi c'est un dieu qui a les caractéristiques des effets de l'ivresse. Soit il apparaît par la mania, c'est-à-dire la manifestation de la folie, touchant les femmes la plupart du temps.

Étranger. (p. 18-19-20) C'est un dieu étrange et étranger, qui vient du dehors, qui vient d'ailleurs. C'est un démon étranger (xénikos daimôn) mais pas barbare (au sens grec, le mot "barbare" désignait celui "qui n'est pas grec").

Masque. (p. 21-22-23) Le caducée est à Hermès ce que le masque est à Dionysos. Cet étrange étranger oscille entre la présence et l'absence, le caché et le révélé.

Inconnu. (p. 24-25-26) C'est un dieu inconnu méconnu : car comment reconnaître une divinité que l'on ne connaît pas? Ignoré, renié, accusé, persécuté, emprisonné, il frappe de folie sauvage et d'hallucinations meurtrières ceux qui ne le reconnaissent pas (Penthée, Lycurgue, etc).

Bacchantes. (p. 27-28-29) Les bacchantes rejettent, chassent, poursuivent les minyades car elles ne se reconnaissent pas dans le meurtre de leur fils, qui pour elles est une souillure (agos).

Bacchants. (p. 30) Une sagesse orphique dit : "Nombreux sont les porte-thyrses, rares sont les Bacchoi" (Platon).

Possédé. (p. 31) Cela passe par "l'expérience d'une possession qui rend étranger à soi et fait du possédé un meurtrier arraché à sa communauté par la souillure." (Marcel Detienne)

Agriônies. (p. 32) "Attesté par l'épigraphie dès le IIIè siècle avant notre ère, le Dionysos Cadmeios règne en compagnie d'Apollon sur l'assemblée des dieux thébains. " (Marcel Detienne) Tous les deux ans on le célèbre durant les Agriônies.

Violence. (p. 33) Moins on le reconnaît, plus la violence de son épiphanie est exacerbée. Il est l'étranger et l'étrangeté qu'il faut intégrer. - Penthée démembré par Agavé inverse le mythe de Sémélé foudroyée par Zeus.

Meurtre. (p. 34) De même Dionysos rend étranger, car la possession mène souvent au meurtre. Il condamne donc Agavé et ses soeurs à l'exil hors de la cité suite à leur souillure (musos), pour expier cette souillure sacrilège (anosion miasma). Meurtrières, elles ne peuvent revenir là où demeure la tombe de leur victime.

Exil. (p. 35) Ça va encore plus loin pour Cadmos, le roi semeur de la race thébaine, à qui Dionysos impose de mener contre la Grèce une armée barbare après l'avoir condamné à l'exil, de détruire les autels des dieux et des ancêtres, et de saccager le temple panhellénique d'Apollon, l'autre grand dieu de la Thèbes désertée, afin de se délivrer sa forme de serpent et de s'établir avec Harmonie au pays des Bienheureux.

Folie. (p. 36) La mania mène au meurtre et le meurtrier est considéré comme un possédé : "Plus la folie se déchaîne, plus grande est la place donnée à la cathartique. Dionysos les connaît l'une et l'autre intimement." (Marcel Detienne)

Initié. (p. 37) Dionysos est rendu fou par Héra et est soigné (purifié) par Rhéa qui le sauve. Il a donc été initié à ses propres mystères.

Mania. (p. 38) La folie apporte une souillure, une impureté, et appelle une délivrance. Puis à travers la possession de cette mania il y a réciprocité, on devient le dieu.

Récréation. (p. 39) Dionysos est une expérience religieuse de l'étrangeté : "la folie-souillure et la purification, avec, dans son prolongement, le masque-travestissement et le voir de la facialité brutale." (Marcel Detienne). Dans les Lois de Platon, il apporte à la fois "initiation et récréation" (télétè et paidia)

Purification. (p. 40) "C'est dans la transe que se fait la purification" (Marcel Detienne). Après le Dionysos Mainomenos (délirant) voilà le Dionysos Katharsios (purifiant) ou Lysios (délivrant) à Thèbes.

Double. (p. 41-42-43) On retrouve cette dualité à Corinthe où deux statues de bois couvertes d'or (xoana) identiques étaient nommées l'une Lysios et l'autre Baccheios, la première taillée dans du tronc de figuier, la seconde dans du bois de vigne. Ce sont les deux pôles opposés mais complémentaires d'une même divinité.

Vin. (p. 49) "Aux hommes de faire l'expérience du vin pur, la boisson qui brûle de tous ses feux, le breuvage versant la mort glacée dans le sang de taureau offert dans les ordalies." (Marcel Detienne). Note perso. Il y a selon moi une analogie entre le sang et la lumière qu'on retrouve dans le vin : c'est un feu qui nous irrigue. Dionysos est le génie du coeur (Nietzsche) dans ce sens-là aussi : le coeur est notre soleil de sang intérieur, qui régule et fait croître la vie en nous, comme le soleil resplendit sur la terre, comme la vigne donne l'ivresse du printemps grâce au vin nouveau. Dionysos comme le Christ sont des feux du ciel, le feu d'en haut. Mais pour moi Dionysos est différent du christ car il est aussi un feu d'en bas, vivifiant.

Psychomagie. (p. 52) Un acte de psychomagie dionysiaque. Dionysos, mal accueilli à Athènes, donne une érection collective à toute la population masculine. L'oracle de Delphes recommande de construire des phallus et de les emmener en procession en l'honneur de Dionysos : "La pathologie de l'organe mâle prépare les esprits à rendre à Dionysos un culte dont l'instrument et la figure divine sont un membre viril de belle et forte taille." (Marcel Detienne)

Serpette. (p. 55) "L'écimage, la taille de la vigne qui favorise l'apparition de rameaux nouveaux, c'est l'âne qui s'en charge en broutant voracement les pampres. Animal dionysiaque comme le bouc, sa denture est le modèle naturel de la serpette recourbée, effeuillant et coupant après la floraison pour aider à la formation des yeux." Dionysos qui fait croître (auxitès), Dionysos le feuillu (dasullios), Dionysos de la vigne cultivée (Hèméridès).

Sang de la terre. (p. 56) Le médecin grec Androcyde, cité par Pline dans l'Histoire Naturelle (XIV, 58), parle de la vigne comme le "sang de la terre". Le vin est un feu liquide, une eau qui brûle, intensifiant la vie et la mort en même temps, remède contre l'ennui et la tristesse et poison léthargique et destructeur, délivrant autant le génie que la bête.

Sang du ciel. (p. 57) Verse du vin sur une flamme et elle grandit (Théophraste : Traité sur le Feu), et elle monte jusqu'au ciel lorsque Alexandre en fait couler sur l'autel de Dionysos (Suétone : Auguste). "Il y a de la foudre dans le vin, et il faut en être frappé pour entonner le dithyrambe." (Marcel Detienne). C'est le sang du ciel, qui incorporé devient le sang nouveau. Dionysos est la transe qui coule dans nos veines (Archiloque).

Droit. (p. 58) Dionysos Orthos (Droit), comme Déméter, rectifie comme un dieu civilisateur : "C'est en buvant le vin bien mélangé que les hommes cessent de se tenir courbés comme les y contraignait le vin pur." (Philochore). Voyons le comme on voudra. Dans une de mes chansons, je dis : "Elle te foudroie d'un regard" ou "Elle te foudroie toute la nuit". À entendre comme on voudra.

Tempéré. (p. 59) Le vin pur menait à la bestialité, la douleur, la maladie, la folie, la mort, le vin tempéré mène à la vie cultivée, civilisée. Selon le médecin Mnésithée (IVè siècle av. JC) l'oracle de la Pythie conseillait à certains (Athéniens) d'appeler Dionysos dispensateur de santé (Hugiatès).

Basilinna. (p. 61-62) "Son irrésistible ascension le conduit depuis les faubourgs de l'Attique jusqu'au sommet de la hiérarchie politico-religieuse. À l'occasion des Anthestéries, c'est dans le sanctuaire de Dionysos, "Au Marais", que la Reine, épouse légitime du premier magistrat, du Roi "chargé de tous les sacrifices traditionnels", accomplit, et elle seule, au nom de la cité, des sacrifices et des cérémonies tenues dans le plus grand secret. Autour d'elle, et pour l'office du même lieu, quatorze prêtresses, appelées les Anciennes (Gerairai) et choisies par le Roi : elles font le serment solennel d'être exemptes de toute souillure, en particulier de l'union avec le mâle ; elles promettent également de célébrer en l'honneur de Dionysos les Theoinia, la fête du Dieu-Vin, et les Iobaccheia, hantées par le cri rituel des fidèles de Bacchos. / Le plus sacré des lieux de culte dionysiaques est ouvert un seul jour dans l'année ; le secret et le public s'y mêlent de manière unique : sur une stèle dressée près de l'autel, on peut lire "en caractères attiques à demi effacés" les prescriptions du cérémonial. Lequel est politique, essentiel à la cité et soumis à l'impératif de la publicité qui s'exerce sur l'ensemble des sanctuaires. Mais dans cet espace entièrement confié aux premières citoyennes d'Athènes, les officiantes seules ont le droit de faire et de voir un cérémonial qu'il leur est strictement interdit de révéler. Le même jour, la Reine pénètre dans le Boukoleion, ancienne résidence royale voisine du Prytanée, rencontre Dionysos qu'elle épouse au nom de la cité. Ce jour-là, l'hôte Amphictyon, au milieu des prêtresses immaculées, est promu grand prêtre de la conjugalité et de ses retombées. Dans l'ombre du sanctuaire entrouvert, le "Dispensateur de santé" revêt le masque, interdit aux regards masculins, de la souveraineté sur Athènes et sur toute l'étendue de son territoire." (Marcel Detienne).

Pierre philosophale. (p. 63) "Son aire de danse est vaste autant que la Grèce entière" (Marcel Detienne). Dionysos est une pierre philosophale : "Le jour de sa fête, à la date fixée dans le calendrier pour sa venue sur ses autels et dans ses temples, il arrive souvent que Dionysos fasse grandir la vigne en un jour, jaillir le vin tout préparé de la terre nue ou encore qu'il fasse bouillonner la liqueur enivrante dans les cuves hermétiquement scellées. Le dieu qui vient alors bouleverse la temporalité régulière des saisons, perturbe les médiations techniques de la viticulture et de la fabrication du vin. Sur ce terrain, il aime se manifester de deux manières. D'abord, avec les vignes dites "éphémères". / En Eubée, sur le Parnasse, à Aigai, apparaît une vigne miraculeuse ; elle grandit à vue d'oeil, feuillage au matin, à midi la grappe est pleine et le soir le vin est tiré. Une année s'écoule en un jour, et la viticulture spontanée prolifère dans l'espace sauvage, elle envahit les pentes du Parnasse, elle enivre l'antre rocheux de l'Eubée. Plus précisément à Aigai, les rameaux de la vigne se déploient et se couvrent de fruits en même temps que les femmes évoluent en choeur et célèbrent les cérémonies annuelles de Dionysos. Le vin pur de ce jour jaillit en même temps que la danse agitée des Ménades, le choeur des femmes mariées qui sont des initiées (mustides)."

Namnètes. (p. 68-69) Strabon via Posidonius nous rapporte l'existence des Namnètes (d'où viendrait le nom de la ville de Nantes), femmes possédées de Dionysos, sur une île interdite aux hommes, sur l'embouchure de la Loire. Toute l'année elles font des rites pour apaiser le dieu. Et une fois par an, elles remplacent le toit de son sanctuaire en une journée avant le coucher du soleil. Si une d'entre elles fait tomber son matériel, elle se fait déchiqueter par les autres, qui promènent ses membres autour du lieu sacré, jusqu'à ce que leur délire les dépossède et s'arrête. Les saintes d'une année se transforment en ménades d'un jour. Pourtant Dionysos n'est pas un dieu de l'architecture. Mais il invite à quitter les toitures (les ménades quittent le ménage), il fait s'ébranler le toit de la demeure paternelle des Minyades, il fait osciller et tanguer les poutres maîtresses du palais de Cadmos sous les yeux horrifiés de Penthée, même sort réservé pour la toiture et le palais de Lycurgue dans les Édoniens d'Eschyle, avant de s'effondrer dans un bruit effrayant : "Autant d'interventions qui semblent donner raison de n'avoir qu'une confiance limitée dans les talents d'architecte de Dionysos." Marcel Detienne (p. 81) Note importante : Dionysos est un dieu épiphanique et n'est pas un état permanent. Il est une transe rituelle, c'est-à-dire cyclique, un état d'extase sauvage, qui s'en va et s'en vient.

Apollon soigne les possédés. (p. 74) Le musicologue de Tarente Aristoxène laisse une description clinique de femmes hors d'elles (ekstaseis), qui sont assises en train de manger et entendent une voix, comme un appel lointain, et se lèvent d'un bond (ekpèdan) sans qu'on puisse les retenir, et courent loin de la ville. Apollon conseilla de soigner ce mal à coups de péans, de chants purifiants et printaniers, durant une cure de soixante jours. Ce qui amena une floraison de compositeurs de péans.

C'est le pied. (p. 75) "Mais le doute n'est pas permis : la transe dionysiaque commence par le pied, avec le bondissement, premier aspect du pied dans le domaine de Dionysos. Le deuxième, non moins gestuel, est un jeu familier à tous ceux qui prennent part à ses fêtes. Plus précisément, semble-t-il, aux Dionysies aux champs. Il s'agit de marcher sur une seule jambe, de sauter à cloche-pied. C'est le jeu de l'askôliasmos, selon le sens ancien d'un verbe qui menace les androgynes mis en scène par le philosophe du Banquet. Ces créatures encombrantes à quatre pattes et quatre jambes, les dieux commencent par les discipliner en sectionnant chacune d'elles par la moitié. Mais si, d'aventure, elles persévéraient dans l'arrogance, elles seraient à nouveau coupées en deux de façon à cheminer désormais sur une jambe unique, à cloche-pied (askôliazein). Marcher en sautillant au lieu d'aller droit sur deux jambes." Cette ana-skelos a disparu au profit exclusif d'un jeu où l'on escalade une outre glissante remplie de vin, appelée askos, par simple histoire sémantique.

Croche-pied. (p. 76 à 79) Au-delà du Dionysos Orthos (Bien Droit, qui fait tenir droit) lorsque le vin est coupé avec mesure, il y a un Dionysos Sphaléôtas (qui fait trébucher) que l'on trouve à Delphes (Ier siècle av. JC), ou encore un Dionysos Sphalèn (qui fait chavirer), Sphaltès (tombeur), huposkelizein (croche-pied), lorsqu'on a trop vidé les cratères et les outres. D'ailleurs on appelait ça cratère sûrement pour sa forme, mais aussi parce qu'on y buvait le feu liquide (interprétation personnelle).

Bondir et jaillir. (p. 82-83) Le même mot (ekpèdan) désigne le bondissement des ménades et le jaillissement du vin qui coule à flots. Encore un argument qui va dans le sens du "Génie du Coeur" dont parle Nietzsche pour désigner Dionysos : le coeur, d'où jaillit le sang.

Spontané. (p. 83-84) "Davantage, l'équivalence entre les deux topiques de la parousie dionysiaque trouve confirmation dans la marque commune du soudain et du spontané, de l'automaton, autre terme technique de l'épiphanie de Dionysos. Les liens qui enchaînent les Bacchantes tombent "d'eux-mêmes" ; le cep de vigne sous les pieds de Télèphe grandit "en un clin d'oeil" ; à Téos ou dans le sanctuaire d'Andros, la source de vin jaillit "soudainement, d'elle-même". Tandis que sur l'île de l'Atlantique, même si le mot n'est pas explicite, la fureur de Dionysos emprunte la forme de l'automaton. Dionysos se dit dans la maîtrise souveraine du spontané et du soudain ; il apparaît dans la force naturelle en son jaillissement. Prince de l'immédiateté, il est même sous cet aspect une sorte de fétiche adoré par les travailleurs de la terre. Un Dionysos élémentaire dont on reconnaît la présence dans une simple pousse, un surgeon fiché dans le sol et qui se met à grandir tout seul, de façon mystérieuse. Image rustique d'un Dionysos autophuès, d'une puissance autonome dont la force naturelle fait irruption soudainement et qui demeure inintelligible, rebelle à toute classification." On se souvient de l'allusion de Nietzsche à la Sipo Matador pour évoquer la volonté vers la puissance.

Tu y es. (p. 84-85-86) À Olympie, les fêtes annuelles en l'honneur de Dionysos sont appelées les Thuia (bouillonnement). Thuia est aussi la fille du Parnasse, première à mener les orgies de Dionysos. À Delphes, elle est la Thuiè (tourbillonnante). Les Femmes Abeilles, qui ont appris à Apollon l'art divinatoire, et ont la tête recouverte de farine blanche, entrent en effervescence (thuiein) lorsqu'elles sont gorgées de miel blond, et disent alors toute la vérité. Sémélé pénètre dans l'Olympe en tant que Thuônè, la première Bacchante : la transe s'emparait de celles qui effleuraient son ventre de femme enceinte. Les Thuiades (bouillonnantes) entourent Dionysos sur l'un des frontons du temple d'Apollon : "Femmes d'Athènes qui s'en viennent célébrer le rituel biennal de Dionysos autour de l'antre corycien, elles sont les Bondissantes, cheminant dans la nuit ; femmes de Delphes, officiant mystérieusement dans la fête pour l'Héroïne, elles ont mission d'éveiller le dieu Dionysos, le dieu "au van" endormi ou enfoui près de l'oracle, tandis que, parallèlement, les prêtres, appelés les Purs, les cinq Hosioi, accomplissent un sacrifice secret dans le sanctuaire d'Apollon." Il y aurait enfin un Apollon Thuïos, à Milet, au pays du dieu des chantres, des Molpes organisés (p. 115).

Note perso. Je pense que Dionysos peut se manifester dans les quatre règnes : humain avec les ménades (par exemple), animal comme on l'invoque sous une forme de taureau (par exemple), végétal comme il s'exprime dans les arbres et par la vigne et le vin, puis minéral, ça semble plus compliqué, mais par exemple c'est ces moments où il fait tout trembler et s'écrouler. Il est aussi lié aux quatre éléments : il se manifeste dans le vin qui est une eau de feu et on le boit dans des cratères, puis il se manifeste aux côtés des charites qui sont des divinités de la lumière (mères de la joie éclatante), il se manifeste aussi dans l'air avec la Thuia par exemple, puis dans l'eau et l'humidité (ganos) en général, et évidemment dans la terre.

Les Seizes Dames d'Héra, l'arcane XVI du Tarot, et les 16 figures des arcanes mineurs : Seize Âme, ouvre toi. 16=7 et est égal à quatre au carré. XVI est le seul chiffre où on retrouve X, V, I, au plus simple. Dieu.

Palpitant. (p. 89-90) Quand Andromaque a l'intuition de la mort d'Hector, elle se lève et "bondit" à travers le palais, "elle est semblable à une ménade", "elle a le coeur palpitant". On retrouve cette palpitation chez les corybantes qui dansent frénétiquement autour d'un possédé tout aussi palpitant : "C'est en effet dans le modèle corybantique que le "bondissement" se révèle principe constitutif du vivant". (Marcel Detienne) Platon analyse ce qui suit : le petit humain est toujours agité, criant et sautant, sans cesse en désordre, bondissant sans cesse, pulsion à l'origine du rythme et de l'harmonie. Les nourrices bercent les nourrissons en les balançant dans un mouvement incessant. Technique pour apaiser les "Nourrissons ou Bacchants, qui étaient troublés par des palpitations dans la région du coeur." (Platon, Lois).

Coeur-ménade. p. (92-93) C'est ce que l'anatomiste Hérophile découvrit : "Et pour l'anthropologie dionysiaque, le muscle cardiaque est dans le corps du possédé une ménade intérieure, toujours occupée à bondir." (Marcel Detienne). Dionysos est le Génie du Coeur pour Nietzsche, quatrième argument. En réalité, le coeur palpitant est l'alpha et l'oméga de la vie. L'argument déjà sorti : "Le coeur palpitant est si intimement associé à Dionysos et à sa puissance que la théologie orphique a logé en lui la renaissance du dieu mis à mort et dévoré par les Titans. Qu'il soit dérobé ou soustrait à la table des meurtriers, le coeur de l'enfant égorgé contient Dionysos tout entier." (Marcel Detienne).

L'Exubérant. (p. 93-94) Dionysos dieu du coeur et dieu du sexe, qui est autonome comme le coeur. C'est ce que remarque Aristote dans son Traité sur le mouvement des animaux. Quand le sexe droit (orthos) jaillit comme le vin pur et bondit comme la ménade. Les médecins hippocratiques ont comparé la croissance de la plante et la formation de l'enfant dans la matrice. Comme Aristote, on parle de Dunamis, cette puissance de croissance, ce pouvoir sans limite qu'exerce Dionysos sur la nature et sa croissance spontanée, qu'on célèbre lors des Dionysies. Il s'apparente alors aux Saisons et aux Charites, ces puissances de l'échange et de la circulation de la vie (p. 96). Le Bryaktès (l'Exubérant) est la luxuriance végétale, la vigne à l'état sauvage, la surabondance de sève, le gonflement du ventre qui laisse apparaître l'embryon, la nature jaillissante de la croissance violente, le vin écumant effervescent à la surface de la coupe et le bondissement du danseur.

Dionysos à coeur ouvert. Apothéose du livre pages 97-98-99 : "Qu'est-ce qui fait donc courir Dionysos? Qu'est-ce qui le fait bondir et jaillir? Qu'est-ce qui le pousse à paraître sous le signe du jaculatoire? De quelle nature est la puissance qui rend compte à la fois d'une fontaine de vin pur et d'une ronde frénétique de femmes hurlant l'évohé et se déchirant mutuellement? Quelle est la force brutale, soudaine, qui explose en des lieux et sous des formes si différentes? En d'autres termes - et plus adéquats au système polythéiste, à l'ensemble des relations entre dieux et groupes de dieux dont relève intégralement Dionysos -, quel est le principe unifiant son activité, quel est son mode d'action? / Question dont la pertinence requiert que soit identifié, à travers le chatoiement de ses interventions, le point focal de ses manières d'agir - au-delà donc du masque, de l'altérité sans contour, d'une souveraineté évidente sur la vie alternant avec la mort. Il fallait un chemin de crête : la pulsion "épidémique" ; paraître brutalement et s'obstiner à ne pas être reconnu comme il arrive aux autres. Dionysos, dit-on, aurait des ennemis. Non point : il se donne la scène où se faire reconnaître. Surgissant en Étranger de l'intérieur, il est celui qui jette hors de soi, qui pousse sa proie au meurtre de sa propre chair ; qui la précipite dans la souillure. Hautes parousies. (...) Dionysos en action, à coeur ouvert : donnant à lire le plus intime de sa puissance, celle qui fait jaillir, qui fait bondir. Au point précis où le sang bouillonnant et le vin palpitant confluent en un principe commun : la "puissance" d'une humeur vitale qui tire d'elle-même et d'elle seule sa capacité à libérer son énergie, d'un coup, avec une violence volcanique. Folie meurtrière, ménade bondissant, vin pur effervescent, coeur enivré de sang : un même mode d'action."

smilax

MARCEL DETIENNE - DIONYSOS MIS À MORT

Marcel Detienne : "En principe, chaque mythe renvoie à l'ensemble des autres mythes." (p.46)

Sur le problème du mythe : toutes les pages 36, 37 38.

Deux attitudes. Marcel Detienne : "A partir des analyses consacrée par D. Sabbatucci au mysticisme grec, on peut proposer une application de cette méthode pour organiser les systèmes des représentations que les Grecs élaborent, entre le VIè et le IVè siècle avant notre ère, autour de la manducation de la chair humaine et du problème de l'alimentation carnée. En regard du modèle sacrificiel et alimentaire dominé par les relations entre trois termes - les dieux, en haut ; les bêtes, en bas ; et les hommes, au milieu - quatre formes de protestation contre la Cité (Pythagorisme, Orphisme, Dionysisme, Cynisme) se laissent ordonner les unes en relation avec les autres, deux par deux, selon l'orientation choisie. Dans un cas, la protestation entraîne le dépassement par le haut (Pythagorisme et Orphisme) ; dans l'autre, par le bas (Dionysisme et Cynisme). Le contraste entre les deux solutions se condense dans la représentation du cannibalisme extrême que Pythagoriciens et Cyniques possèdent en commun : un enfant dévorant ses propres père et mère. Vision horrifiée pour les disciples de Pythagore de la vie carnivore et bestiale menée par les Autres ; mais, pour les Cyniques, image exemplaire de la déconstruction radicale de la Société que vise à réaliser leur pratique quotidienne. Or ce que l'Histoire nous apprend en l'occurrence, c'est comment, dans certaines circonstances politiques, économiques et religieuses, s'est opérée la métamorphose de certains pythagoriciens en disciples de Diogène." (p. 43-44)

Théâtre magique. (p. 76-77) Déjà en Grèce antique, les forêts et les montagnes étaient des lieux où on pouvait donner libre cours à des comportements déviants, sauvages, bizarres, qui n'étaient pas acceptés dans la cité où règnent les lois et la morale.

La panthère parfumée. (p. 94) L'idée qu'aucun animal ne dégageait une bonne odeur de façon naturelle, sauf la panthère, était répandue chez les anciens (ex : Théophraste, Aristote). On pouvait trouver dans la ville de Tarse un parfum réputé dont on avait perdu la formule qu'on appelait Pardalium (panthère). Note perso : ce mot est très proche de Pardès (paradis) qui veut dire jardin.

Pomme d'Adam. (p. 103) Le mot grec melon (pomme) désignait tous les fruits ronds ressemblant à une pomme. Note perso : d'où la confusion, par exemple, avec l'histoire du jardin d'éden. C'était un fruit défendu, pas une pomme.

Quatre protestations. (p. 139) Marcel Detienne évoque les quatre mouvements que sont le pythagorisme et l'orphisme, le dionysisme et le cynisme, comme des antisystèmes ou des protestations contre la cité.

Justice et démesure. (p. 141-142) Les grecs étaient partagés entre la diké (justice) et l'hubrys (démesure). Les animaux ne connaissent ni la justice ni l'injustice. Ils se dévorent tout cru entre eux. L'humain s'en distingue en mangeant cuit et en ne pratiquant pas le cannibalisme. Le dionysiaque et le cynique sont des ensauvagements et nous ramènent à ces pratiques animales. L'orphisme et le pythagorisme nous en éloignent. Marcel Detienne : "La condition humaine ne se définit pas seulement par ce qu'elle n'est pas, elle se délimite aussi par ce qu'elle n'est plus." C'est Prométhée qui marque le passage entre l'Âge d'Or et le temps humain. Pour Hésiode c'est après avoir participé aux repas des dieux, dans d'autres mythes c'est après avoir été longtemps dans la bestialité. Dans tous les cas Prométhée sort l'humain de sa commensalité (partage des repas avec les dieux) ou de sa bestialité en leur donnant le feu, qui apporte la cuisson des aliments.

Abolir les frontières. (p. 143) L'inceste, le parricide, le cannibalisme sont des états sauvages qui nous sortent de notre statut d'humain civilisé. Il n'y a plus de différence entre l'humain, le dieu et la bête.

L'esprit ou la chair. (p.149-150) Pour les orphiques et les pythagoriciens on retrouve un état divin par l'esprit (par le haut), en nous éloignant de la bestialité, du cannibalisme, du sacrifice, considérés comme un écart entre l'humain et le divin. Pour les dionysiaques et les cyniques, pour les uns sur un plan religieux, pour les autres sur un plan socio-politique, la consommation crue qui induit le sacrifice abolit la frontière entre l'humain et le bestial, donc avec le divin.

Chassez le naturel il revient au galop. (p. 151) Dans certaines versions, le cannibalisme est l'effet d'une désobéissance ou d'une ignorance au culte de Dionysos. Il frappe de folie meurtrière (Agavé qui tue son fils le roi Penthée) ceux et celles qui ne répondent pas à son adoration. Celui qui n'exprime pas sa folie devient fou négativement.

Hésiode et Orphée. (p. 168) Il y a des différences entre les visions hésiodique et orphique. Pour Hésiode il y d'abord le Chaos primordial et inorganisé qui engendre tout, peu à peu, jusqu'à Zeus et ses descendants. Dans la Théogonie toujours, l'amour (Eros) est un principe de génération par l'accouplement. De même, le discours d'Hésiode est centré sur le règnes des dieux et les humains se définissent par rapport à cet ordre. Pour les orphiques, c'est une cheminement inverse : il y a d'abord l'Oeuf de vie originel et parfait d'où va sortir la vie pour se dégrader peu à peu. Dans la Théogonie rhapsodique, le rôle de l'amour (Eros) est capital et il est le premier-né (protogoros), celui qui fait briller (Phanès), c'est une force primordiale qui réconcilie tous les contraires engendrés par la Querelle (Neikos). Pour les orphiques enfin le discours est plus centré sur les humains comme étant apparus dans un monde parfait jusqu'à avoir été condamnés à une existence séparée tout en gardant en eux une parcelle d'origine divine. (Note perso : on reconnaît ici une sensibilité qu'on retrouve chez les gnostiques). Les orphiques sont des marginaux, errants, ascètes, prêtres vêtus de blanc, ambulant de cité en cité et proposant leurs recettes de salut, coupés de la vie politique de la cité et volontairement évadés, à l'écart, ne prenant pas part aux rites communs, ne voulant pas de meurtre (phonos), refusant de tuer le vivant, de sacrifier, de manger de la viande, même pour se nourrir, ce qui est hautement subversif dans la cité grecque.

Les titans de Dionysos. (p. 183-184) Les titans qui démembrent Dionysos et le dévorent sont intéressants. Dans certaines versions, ils sont recouverts de gypse, et leurs cendres, après que Zeus les ait foudroyés, mélangées à la terre, vont donner donner naissance aux premiers représentants de l'espèce humaine. Le gypse (gupsos) c'est le plâtre qui était rarement utilisé comme enduit. Dans les constructions minoennes, la pierre à plâtre est destinée aux seuils, aux orthostates, aux bases de colonne, sous forme de dalle. Cette pierre blanchâtre est souvent associée et confondue avec la chaux vive qu'on obtient par cuisson des calcaires et des marbres dans les fours. Or le terme pour désigner la chaux vive est Titanos qui définit la poussière blanchâtre, l'espèce de cendre (téphra) blanche que produit la crémation de toute espèce de calcaire.

Dionysos christique. (p. 190-191) Dionysos, chez les orphiques, tel qu'il est décrit dans la Théogonie rhapsodique, est l'aboutissement de la création, après six générations qui se succèdent. D'abord il y a Phanès (ou Métis) qui surgit dans une lumière éclatante, puis vient la Nuit, ensuite Ouranos ainsi que Cronos, puis Zeus qui règne grâce aux conseils de la Nuit et la complicité de Phanès englouti par Zeus. Né de Zeus et de Perséphone, Dionysos est un nouveau Phanès, un retour à l'origine, un retour de l'origine (note perso : donc, en quelque sorte, l'alpha et l'oméga), nouveau roi du monde et des dieux. Sa renaissance ferme le cycle divin et sa mise à mort par les titans ouvre le cycle humain.

Deux voies. (p. 198) Le dionysisme permet d'échapper à notre condition humaine par la bestialité, l'animalité, par le bas, et l'orphisme propose la même évasion par la divinité, par le haut, notamment par le refus de tuer le vivant. Marcel Detienne : "L'omophagie dionysiaque est l'homologue du végétarisme orphique".

Dionysos orphique. (p. 202) Alors l'orphisme est un type de dionysisme, car il laisse une place centrale à Dionysos, mais sur le plan de la sensibilité, de l'éthique, de la pratique, il n'a pas les mêmes tendances que le dionysisme des ménades. En effet, là où les ménades ont recourt au cannibalisme et à la sauvagerie, ici Dionysos est présenté comme une victime de ce cannibalisme et de cette bestialité : lorsqu'il se fait morceler et dévorer par les titans. Le coeur de Dionysos étant conservé, on peut alors le faire renaître à la fois en enfant et roi des dieux, rétablissement du Phanès-Métis, cette amour-lumière originel et pur. On a donc un Dionysos salvateur et salutaire. Contrairement aux dionysisme des ménades, les orphiques ont un discours théologique lié à leur initiation et leur pratique.

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